Impact du plafonnement des loyers sur la construction de logements neufs: analyse empirique du canton de Bâle-Ville
21 janvier 2025
Les effets du plafonnement des loyers à Bâle-Ville font l’objet de nombreux débats. Nous présentons ici une analyse empirique concernant son impact sur la construction de logements neufs. Les données relatives aux demandes de permis de construire durant la période de 2015 à 2024 montrent que la réglementation a entraîné une baisse des demandes de permis de nouveaux logements à Bâle-Ville, dans une proportion plus forte que dans d’autres communes comparables. Un recul a notamment été observé après l’adoption de l’initiative “Ja zum ECHTEN Wohnschutz” (Oui à une VÉRITABLE protection du logement) en novembre 2021.
Cette analyse empirique offre un éclairage pertinent sur le rôle des mesures prises en matière de politique du logement dans le contexte de la baisse du nombre de logements disponibles et de la hausse des loyers. Par ailleurs, en théorie, un plafonnement des loyers peut aussi bien stimuler la construction de logements neufs que la freiner.
Quel est l’impact du plafonnement des loyers sur la construction de logements?
Le plafonnement des loyers a un impact considérable sur le marché du logement et influence la construction de logements de différentes façons. Son impact varie considérablement en fonction des modalités spécifiques de la réglementation. Il est crucial de savoir si le plafonnement des loyers est limité à une zone géographique et s’il s’applique uniquement aux travaux de transformation ou également aux constructions neuves.
Notre analyse se concentre sur le plafonnement des loyers qui s’applique exclusivement aux transformations et aux nouvelles constructions de remplacement, les nouvelles constructions sur terrains vierges en étant exclues. C’est généralement de cette façon que le plafonnement des loyers est considéré, dans la mesure où on le distingue des prescriptions relatives aux logements à loyer modéré dans les projets de nouvelles constructions.
Les réglementations des loyers entraînent un changement de comportement tant chez les bailleurs que chez les locataires. La charge financière des ménages vivant dans des logements à loyer réglementé est allégée, étant donné que le plafonnement des loyers entraîne une baisse des loyers existants. Si les loyers ne peuvent être adaptés que de manière limitée après rénovation, l’incitation à réaliser des travaux dans les logements existants est modifiée.
Dans le canton de Bâle-Ville, les loyers sont fixés par le service de la protection du logement sur la base des initiatives adoptées (voir Protection des locataires dans le canton de Bâle-Ville) après la rénovation, la transformation ou la reconstruction d’une maison. La réglementation a eu pour effet de faire baisser les revenus futurs engendrés par les biens immobiliers. La valeur des biens immobiliers concernés sur le marché a en outre été impactée par des attentes élevées en termes de rendement en raison de la hausse des taux d’intérêt, ce qui a fait baisser la valeur actuelle des revenus.
Cette rentabilité limitée occasionne une diminution à long terme de la qualité des bâtiments et des logements, car les mesures d’aménagement prises sur les logements locatifs existants sont en baisse. Cette tendance a également été observée dans des villes où les loyers sont plafonnés, comme Berlin et Genève. Un plafonnement des loyers peut donc inciter les investisseurs à ne pas effectuer de travaux de rénovation.
Un impact peu clair sur la construction de logements neufs
L’effet du plafonnement des loyers sur la construction de logements neufs est moins clair et dépend de la réglementation dans sa forme concrète. Trois aspects au moins jouent un rôle à cet égard :
- Des projets de logements neufs moins attrayants : la valeur des bâtiments destinés à la location dépend entre autres de la capacité à adapter les loyers après rénovation. Plus la rentabilité d’un projet est faible, moins il a de chances d’être réalisé. Cela concerne notamment les propriétaires de biens immobiliers disposant de réserves de zones à bâtir, qui pourraient y construire un immeuble d’habitation. À Bâle-Ville, on observe en effet un retrait de certains investisseurs.
- Plutôt des logements neufs que transformés : si les logements neufs ne sont pas concernés par le plafonnement des loyers, ce dernier peut modifier les priorités et les stratégies immobilières des propriétaires et donc entraîner de nouvelles constructions. Les propriétaires pourraient ainsi réduire l’entretien et ne faire que ce qui est absolument nécessaire. Avec l’argent ainsi “économisé”, ils peuvent allouer des ressources supplémentaires vers la construction de nouveaux logements. C’est le cas des acteurs immobiliers qui investissent un montant fixe dans l’immobilier. De plus, le plafonnement des loyers fait augmenter la différence de loyer entre les nouvelles constructions non soumises à la réglementation et les constructions existantes. De ce fait, l’intérêt pour les nouvelles constructions augmente, ce qui permet de créer des logements supplémentaires ou, à tout le moins, dans des délais plus courts.
- Des contournements : le plafonnement des loyers incite à chercher des alternatives non soumises à la réglementation pour remplacer les locations classiques. Par exemple, des logements destinés à la location sont transformés en appartements en copropriété (cela a été observé à Berlin). La réglementation pourrait être mise à mal par des contournements, car d’autres segments tels que les appartements d’affaires, les appartements meublés ou les chambres individuelles gagnent en attractivité par rapport aux logements destinés à la location.
Conclusion : deux des trois arguments (points 1 et 3) parlent en faveur d’une réduction, un argument (point 2) en faveur d’une augmentation des constructions neuves. Il n’est donc pas possible de faire un pronostic général sur l’effet de chaque plafonnement des loyers sur les constructions neuves. L’impact dépend plutôt des conditions-cadres respectives. L’analyse empirique qui suit sur l’activité de construction dans le canton de Bâle-Ville est donc d’autant plus précieuse.
Méthodologie utilisée pour l’évaluation empirique
La mesure de l’impact des initiatives de protection du logement sur l’activité de construction à Bâle-Ville se base sur une analyse détaillée des données provenant des projets de construction d’Infopro Digital Suisse (anciennement Docu Media). Des évaluations ont été menées pour les projets de construction et d’extension dans le segment des immeubles d’habitation proprement dits ainsi que des immeubles d’habitation à usage mixte. Un examen des logements destinés à la location uniquement aurait permis de tirer des conclusions plus précises sur les effets des réglementations, car celles-ci concernent en premier lieu le marché du logement locatif. Toutefois, les données ne permettent pas de considérer séparément les logements destinés à la location et les logements en propriété, raison pour laquelle l’analyse se base sur l’ensemble des logements.
L’analyse porte sur une période de presque dix ans, entre janvier 2015 et octobre 2024. Afin d’isoler l’impact des réglementations, nous avons divisé les données en trois périodes :
- avant l’introduction de la première réglementation (de janvier 2015 à mai 2018)
- après l’adoption de la première initiative (de juin 2018 à novembre 2021)
- après l’adoption de la deuxième initiative (de décembre 2021 à octobre 2024)
Pour faciliter l’interprétation, nous avons d’une part établi des moyennes mensuelles pour chacune des trois périodes afin de tenir compte de la durée différente des trois phases. D’autre part, les données de construction ont été indexées sur les valeurs de la période précédant la réglementations afin de représenter les changements en pourcentage. L’évaluation des effets repose sur la comparaison des données bâloises avec celles de régions similaires. Les régions comparables choisies sont la région Monitoring du Nord-Ouest de la Suisse (hormis le canton de Bâle-Ville) ainsi que les six villes germanophones de plus de 50 000 habitants, à savoir Zurich, Berne, Winterthour, Lucerne, Biel/Bienne et Saint-Gall. La moyenne non pondérée de ces villes a servi de référence pour les évolutions régionales et suprarégionales.
La combinaison de l’indexation, de segmentations claires, de la comparaison régionale et de l’utilisation de la base de données des projets de construction d’Infopro Digital permet une analyse différenciée des effets de la réglementation sur la construction de bâtiments neufs – mesurée en nombre de demandes de permis de construire.
Le plafonnement des loyers réduit la construction de bâtiments neufs à Bâle-Ville
Suite à l’introduction de la deuxième initiative relative à la protection du logement, le nombre mensuel moyen de logements faisant l’objet d’une demande de permis de construire en vue d’une construction à neuf ou d’une extensions dans le canton de Bâle-Ville a diminué de près d’un tiers par rapport au niveau d’avant les réglementations. En revanche, après l’adoption de la première initiative, on a observé une augmentation minime de 2% par rapport à la valeur initiale. Concrètement, le nombre mensuel moyen de logements faisant l’objet d’une demande de permis de construire dans le canton de Bâle-Ville était de 75 avant les réglementations, il a légèrement augmenté pour atteindre le nombre de 76 après la première initiative et il a ensuite nettement baissé à 52 après l’introduction de la deuxième initiative. Dans toutes les régions comparables, on a par contre enregistré des reculs nettement plus faibles, voire des hausses, des demandes de nouvelles constructions depuis l’adoption de l’initiative à Bâle en novembre 2021. Le recul à Bâle-Ville est particulièrement marqué si l’on considère que le nombre moyen de demandes de logements à bâtir a augmenté de 18% dans toutes les régions comparables au cours de la même période.
Analyse de robustesse: la construction de logements neufs a baissé même en dehors des remplacements par du neuf
On pourrait objecter qu’il n’est guère surprenant que Bâle reçoive moins de demandes de permis de construire pour de nouvelles constructions et des extensions, puisque la réglementation concerne aussi de manière ciblée le remplacement d’anciens bâtiments par de nouvelles unités. Dans cet article de blog, nous nous concentrons toutefois aussi sur la question de savoir si le plafonnement des loyers entraîne des effets secondaires involontaires avec globalement moins de nouvelles constructions et d’extensions, en particulier sur terrains vierges ou dans le cadre de réaffectations. Pour étudier cette question, nous effectuons une analyse dite de robustesse, dans laquelle les constructions neuves de remplacement sont exclues pour les trois périodes. Cette approche présente un autre avantage: les nouvelles constructions de remplacement peuvent fausser l’activité nette de construction, car elles comptabilisent souvent le nombre total de logements construits sans déduire les unités qui ont fait l’objet d’une démolition.
Les données confirment que le recul n’était pas uniquement dû à des remplacements par des constructions neuves. Même sans tenir compte de ces derniers, on constate un recul tout aussi important du nombre mensuel moyen des demandes de permis de construire dans le canton de Bâle-Ville entre la période précédant les réglementations et celle qui suit la deuxième initiative. Il est frappant de constater que déjà après l’introduction de la première initiative, un net recul de 18% était observé par rapport au niveau initial. Les données des régions comparables montrent pour les autres villes des hausses ou à tout le moins des baisses plus faibles au cours des deux périodes faisant l’objet de réglementations. Parallèlement, il convient de noter que, selon la région Monitoring du Nord-Ouest de la Suisse (hormis le canton de Bâle-Ville) présente également un recul considérable des demandes de constructions neuves.
En résumé, les chiffres suggèrent que les initiatives bâloises en termes de protection du logement ont eu un impact négatif sur la construction de bâtiments neufs et de projets d’extension. Cela pourrait devenir particulièrement problématique si le canton de Bâle-Ville continuait d’enregistrer une forte croissance économique à l’avenir, alors que parallèlement, peu de logements supplémentaires sont construits. Une hausse du ratio actif/habitant à des niveaux similaires à ceux de Berne ou de Zurich augmenterait encore la pression sur les loyers et sur l’offre de logements déjà limitée.
Aspects liés à la temporalité
On peut supposer qu’une partie de cette baisse est seulement temporaire, même si elle pourrait s’étaler sur plusieurs années. L’annonce en tant que telle d’un plafonnement des loyers rend déjà les projets de constructions neuves moins attrayants et favorise les stratégies d’évitement. L’argument selon lequel “construire de nouveaux logements plutôt que les transformer” n’est toutefois valable qu’à partir du moment où un plafonnement des loyers entre effectivement en vigueur. Par conséquent, un plafonnement des loyers affecte plus négativement les projets de nouvelles constructions dans les premières phases de son application qu’à un stade ultérieur. Les nouvelles réglementations ou la perspective de changements imminents sont en outre source d’incertitude pour les acteurs. Il est souvent difficile de savoir comment les autorités appliqueront les réglementations et comment ajuster les calculs d’investissement en conséquence. Toutefois, avec le temps, des pratiques adaptées se développent, ce qui facilite la gestion des nouvelles prescriptions. Par ailleurs, la réglementation fait pression sur les prix des terrains à bâtir, ce qui crée des perspectives intéressantes pour l’acquisition de terrains à l’avenir.
On ignore cependant si le marché de la construction pourra revenir à son niveau d’avant ou même le dépasser à moyen ou long terme. L’évolution des activités dans le domaine de la construction dépend également d’autres conditions cadres, y compris d’éventuelles adaptations de la réglementation. Entre-temps, la protection du logement dans le canton de Bâle-Ville s’assouplit à nouveau quelque peu: le parlement cantonal a transmis cinq motions en juin 2024. Peu avant, le 19 avril 2024, le contre-projet à “Basel baut Zukunft” (Bâle construit l’avenir) a été adopté. Ce contre-projet prévoit que sur les sites de transformation d’une certaine taille, un tiers de la surface habitable nouvellement créée doit être proposée comme logement d’utilité publique à loyer modéré.
Aspects géographiques
Le plafonnement des loyers dans le canton de Bâle-Ville concerne un canton relativement petit et est associé à une diminution de la construction de logements neufs. Un plafonnement des loyers sur un espace aussi restreint peut entraîner un déplacement des activités du marché de la construction vers d’autres régions. Les analyses montrent toutefois que la construction de logements neufs a aussi nettement reculé durant cette période dans la région Monitoring du Nord-Ouest de la Suisse. Dans d’autres villes, l’évolution est toutefois plus dynamique qu’à Bâle-Ville. Les données suggèrent donc qu’un transfert de Bâle-Ville vers d’autres villes plutôt que vers les communes environnantes a eu lieu. En outre, une partie de l’effet d’évitement pourrait avoir eu lieu dans les pays étrangers proches.
Conclusion
L’analyse des demandes de permis de construire montre que le contrôle des prix des loyers et les obligations d’autorisation à Bâle-Ville s’accompagnent d’une baisse de la construction de logements neufs. On constate un net recul des demandes de permis de construire pour les nouvelles constructions et les extensions. Cette évolution contraste avec les faibles baisses, voire les hausses, observées simultanément dans d’autres villes de Suisse alémanique ainsi que dans le reste du Nord-Ouest de la Suisse.
Une réglementation idéale favorise des loyers abordables pour de larges couches de la population, sans pour autant freiner fortement l’activité de construction et les incitations à investir. L’analyse montre que les mesures de politique du logement devraient idéalement préserver la flexibilité du marché de la construction en fonction de la croissance démographique. Cela permet de mieux préserver l’équilibre entre la protection sociale, l’offre suffisante de logements et la réduction des émissions liées à l’exploitation des bâtiments. Cela peut parfois ressembler à la quadrature du cercle (dans cet article de blog, vous trouverez des analyses plus approfondies sur les mesures de politique du logement).
Les expériences récentes de plafonnement des loyers à Bâle-Ville sont particulièrement pertinentes, car des mesures similaires sont également discutées ailleurs. À Berne, la motion “Pour une politique sociale du logement – plafonner les loyers plutôt que de faire des rénovations de luxe” demande l’introduction d’un contrôle des loyers après rénovation, à l’instar des modèles mis en place à Genève et à Bâle. En outre, un vote aura bientôt lieu dans le canton de Zurich afin de décider si les communes pourront activer un plafonnement des loyers sur leur territoire.
Contexte général de la politique du logement à l’échelle de la Suisse
En Suisse, la croissance démographique et l’augmentation de la demande de logements ont considérablement accru la pression sur le marché du logement ces dernières années. Le nombre de logements vacants a chuté rapidement et sensiblement, tandis que les loyers de l’offre ont fortement augmenté, en particulier dans les centres urbains. Une baisse de l’activité de construction a parallèlement renforcé cette problématique, à laquelle ont contribué la hausse des coûts de construction et de financement ainsi que les interventions réglementaires.
La politique suisse du logement se trouve donc face à plusieurs défis: d’une part, il s’agit d’atteindre des objectifs de politique sociale tels que la protection des locataires ou le maintien de logements abordables. D’autre part, l’enjeu est de stimuler la construction de nouveaux logements afin de répondre à la demande croissante et d’assurer une offre de logements suffisante (voir l’analyse des mesures de politique du logement pour le canton de Zurich).
Contexte général de la protection des locataires dans le canton de Bâle-Ville
Dans le canton de Bâle-Ville, les électeurs ont pris ces dernières années des décisions clés pour renforcer la protection des locataires. Le 10 juin 2018, les électeurs bâlois ont dit oui à quatre initiatives sur le logement, inscrivant pour la première fois le droit à un logement abordable dans la Constitution cantonale. En adoptant l’initiative “Oui à une VÉRITABLE protection du logement” le 28 novembre 2021, les électeurs bâlois sont allés encore plus loin.
L’effet de la réglementation depuis l’entrée en vigueur de la deuxième initiative le 28 mai 2022 (SG 861.540 – Ordonnance sur la protection du logement (Wohnraumschutzverordnung, WRSchV)) se présente comme suit: dans le canton de Bâle-Ville, la rénovation, la transformation ou la démolition d’une maison est soumise à autorisation. Après les travaux, les loyers sont fixés par la nouvelle instance pour la protection du logement. L’obligation d’autorisation et le contrôle des loyers concernent, à quelques exceptions près, tous les logements existants dans les immeubles de plus de trois logements. Ces règles s’appliquent pour autant que le taux de logements vacants soit inférieur ou égal à 1,5 %.
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