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Défis et oppor­tu­nités des centres commer­ciaux – retail 

Dernière mise à jour: 12 septembre 2024

​Depuis leur apparition dans les années 1960, les nombreux centres commer­ciaux développés en France ont connu un grand et long succès auprès des consom­ma­teurs. Avec une offre de shopping riche, leur fréquen­tation a atteint des sommets en 2017 et 2018 mais tend à décliner depuis 2019. 

Les causes multiples d’un tel phénomène inter­rogent sur l’évolution de ce type de commerce et sur les incidences immobi­lières induites par cet affai­blis­sement. Si la rénovation des shoppings-centers est engagée, elle sera néanmoins longue et complexe suggérant un recours aux exper­tises en marketing, en organi­sation et en immobilier. 

L’importance des centres commer­ciaux dans le maillage terri­torial 

Durant cinq décennies, l’implantation terri­to­riale des centres commer­ciaux en France n’a jamais cessé, notamment après la crise écono­mique de 2008 avec un fort dévelop­pement en périphérie des villes. Dix ans plus tard, on comptait 834 centres commer­ciaux de toutes tailles : 48% d’entre eux ayant plus de 20 magasins et services, 34% étant des centres impor­tants avec plus de 40 boutiques, le reste étant réparti entre les centres commer­ciaux régionaux de plus de 80 magasins (11%) et les centres à thèmes ou de magasins d’usine (4%). Les très grands centres, dits « super régionaux », regroupent chacun plus de 150 commerces et services (3%). 

Aujourd’hui l’expression « centre commercial » illustre faussement la diver­si­fi­cation des sites tant la multi­plicité des confi­gu­ra­tions est large : centres à ciel ouvert (retail-park), villages de marques, centres mixtes avec intégration d’activités tertiaires, sportives, de restau­ration, de santé, de loisirs… Autant de concepts qui donnent à chaque centre commercial sa propre person­nalité. 

Sur le plan écono­mique, les chiffres du CNCC1 sont éloquents : 

  • l’activité commer­ciale génère chaque année un chiffre d’affaires d’environ 130 milliards d’euros, ce qui repré­sente un quart du commerce de détail et 5% du PIB français, 
  • la fréquen­tation annuelle a souvent dépassé trois milliards de visites [par exemple, le centre des « Quatre Temps » à Paris La Défense a accueilli 42 millions de visiteurs en 2018], 
  • l’ensemble des centres contribue fortement à l’emploi local avec plus de 500 000 postes non déloca­li­sables (450 000 emplois directs + 75.000 emplois indirects). 

Au total, ils repré­sentent aujourd’hui 10% du nombre de commerces en France : 36.000 boutiques tenues par des indépen­dants, des franchisés et des succur­sa­listes. A noter : la création de nouveaux centres a été fortement contenue ces dernières années compte tenu du dispo­sitif de la loi Elan (10/01/2019) destiné à revita­liser les centres-villes et les centres-bourgs. 

Les centres commer­ciaux, facteur d’équilibre entre commerce et société civile ? 

Un centre commercial n’est pas seulement un espace d’approvisionnement. Il est aussi un lieu qui favorise la mixité et les rencontres où des relations se créent et des normes se diffusent. En connexion avec d’autres lieux urbains, les galeries marchandes ont radica­lement changé les pratiques d’achat d’autrefois et les consom­ma­teurs viennent aussi, dans certains centres, pour se distraire, se soigner, travailler et se cultiver.   

Mais aussi, les centres commer­ciaux se sont ouverts aux initia­tives locales : marchés de produc­teurs, circuits courts, forum de l’emploi, activités trans­gé­né­ra­tion­nelles et accueil d’activités associa­tives. Espace marchand et espace social se confondent ainsi en un creuset de société avec, en toile de fond, la logique d’achat à laquelle on n’adhère pas systé­ma­ti­quement à chaque visite. 

En cœur de ville, le phénomène est inversé dans bien des cas : commerces en déshé­rence et déser­ti­fi­cation sociale qui édifient un « pôle-refouloir » vers les zones commer­ciales périphé­riques. 

Les shoppings-centers sont-ils en perte de vitesse ? 

Aujourd’hui, certains centres commer­ciaux affichent une vacance immobi­lière visible qui n’attire pas les badauds et, ailleurs, l’affluence est souvent liée à la nécessité de consommer dans l’hypermarché. C’est à partir de 2010 que la fréquen­tation a commencé à baisser avec cependant un rebond bien éphémère en 2018 dans les secteurs de la restau­ration, de la culture, des loisirs et de la santé-beauté. Mais le phénomène est bien là : déficit d’attractivité dans certains centres peu dynamiques, désertion de certaines enseignes -de prêt-à-porter notamment-, concur­rence du e‑commerce. 

Et si les grandes causes sont identi­fiées, crise sanitaire, perte de pouvoir d’achat et sentiment d’insécurité, il ne faut pas sous-estimer l’impulsion citoyenne pour une consom­mation plus respon­sable. Comme un goût d’authenticité et un intérêt certain pour le local, voire un retour au petit commerce. 

Au-delà de la baisse de fréquen­tation, un autre phénomène est intéressant à observer : la forte diminution du nombre de projets de création de centres commer­ciaux. En janvier 2022, la fédération Procos2 indique que le stock de projets à cinq ans poursuit sa décrue (moins de 3 millions de m2 contre 8 en 2009). Toutefois une nouvelle catégorie de centres commer­ciaux semble émerger, les « centres mixtes » associant aux commerces des logements et des bureaux. La légitimité écono­mique et écolo­gique des grands centres ne ferait-elle donc plus recette ? 

Malgré ce constat, une note positive a été émise en juin 2022 par le CNCC concernant la bonne tenue des chiffres d’affaires : « les clients viennent moins souvent mais remplissent mieux leur panier », d’autant que, malgré l’inflation, les taux de vacance restent encore stables pour les commerces présents. 

Quel avenir pour l’immobilier commercial ? 

En 2021, la courbe de l’investissement en immobilier commercial était en forte baisse (-30% rapportée à 2020). En pleine crise sanitaire, les inves­tis­seurs ont sûrement souhaité reporter nombre d’opérations de cession et d’acquisition en centres commer­ciaux. 

Après ces dernières années diffi­ciles, les profes­sionnels de l’immobilier commercial restent confiants. Leur optimisme pour l’avenir repose cependant sur la nécessité d’adapter les struc­tures et les commerces aux nouvelles attentes avec des solutions concrètes, par exemple : 

  • moins de magasins mais d’une taille plus consé­quente, 
  • ou bien davantage de boutiques plus petites et plus proches des clients, 
  • ou encore des magasins physiques combinés au commerce sur internet pour une part du CA. 

Dans tous les cas, les sites seront soumis à des recon­ver­sions qui supposent une grande flexi­bilité en matière de divisi­bilité des espaces et de répar­tition géogra­phique des enseignes et des services ​​car, jusqu’à présent, les “services ajoutés” ont généra­lement été insérés dans les espaces dispo­nibles, sans restruc­tu­ration des locaux. Mais également, il faudra élaborer une intel­li­gence nouvelle des mobilités et des flux, notamment induits par le télétravail. Par ailleurs, afin de soutenir écono­mi­quement les commerces, les coûts immobi­liers devront diminuer en baissant les loyers et les charges par m2 et, pour cela, les baux commer­ciaux devront évoluer et gagner en souplesse car les activités du commerce sont fluctuantes. 

Entre commerce et immobilier, c’est un nouveau partage de la valeur qui constitue dorénavant un grand challenge pour les proprié­taires fonciers et les autres acteurs des centres commer­ciaux. A noter : les gestion­naires de centres commer­ciaux sont en général d’importantes sociétés d’investissement immobilier (groupe Klepierre, Unibail-Rodamco par exemple) ou bien de grandes banques comme le Crédit Agricole. Certaines collec­ti­vités locales sont parfois impli­quées, munici­pa­lités ou conseils dépar­te­mentaux. 

Face à cette situation comment les acteurs réagissent-ils ? 

Si beaucoup de gestion­naires restent encore atten­tistes, de nombreuses initia­tives changent le paysage : 

  • à Plan-de-Campagne dans les Bouches-du-Rhône la société Barnéoud a engagé des travaux impor­tants pour rendre le centre commercial plus attractif (embel­lis­sement de la galerie commer­ciale, nouveau parking, pôle de restau­ration, espace escape-game…), 
  • à Orléans en zone priori­taire, le centre Bolière bénéficie d’une rénovation struc­tu­relle souhaitée par la ville [extension immobi­lière, aména­gement piéton, suppression d’une galerie désuète], 
  • autres exemples : à « Créteil-Soleil » dans le Val de Marne, à Grenoble au centre « Grand Place », à Montpellier au centre « Odysseum », etc… 

A Lyon, un de ces acteurs a défrayé la chronique ces dernières années en inves­tissant massi­vement dans les centres commer­ciaux quand nombre d’investisseurs s’en écartaient. Il s’agit de Frédéric Merlin, jeune président de la Société des Grands Magasins (SGM) et proprié­taire d’une dizaine de centres commer­ciaux (Kremlin-Bicêtre, Lille, Roubaix, Tourcoing, Mulhouse, Montigny-les-Bretonneux, Châlon-en-Champagne et Saint-Nazaire). Sa société, une foncière novatrice avec un CA de 600 M€, a derniè­rement acquis la franchise de sept magasins Galeries Lafayette, à Grenoble, Dijon, Angers, Limoges, Reims et Le Mans, dont les actifs étaient en désuétude. Pour les redyna­miser, la recette n’est pas compliquée : insérer de nouvelles enseignes, créer une offre de loisirs, de restau­ration et de culture, générer plus de flux. Un pari que cet inves­tisseur est en passe de réussir. 

Par ailleurs, une logique de solidarité entre les grands acteurs voit progres­si­vement le jour. Les fédéra­tions de bailleurs ont signé une charte de bonne conduite vis-à-vis des enseignes et un fonds de solidarité pourra aider les commerces de détail en diffi­culté. C’est ainsi que, durant la pandémie, de nombreux restau­ra­teurs ont pu bénéficier de forma­tions en marketing digital. 

Le modèle s’est essoufflé et un mouvement de restruc­tu­ration  est inéluc­table 

Changer le modèle de business des centres commer­ciaux est devenu une nécessité, ce qui signifie : 

  • diver­sifier les points d’intérêt en attisant la curiosité des consom­ma­teurs, 
  • réévaluer les actions menées et mesurer l’impact réel sur les commerces, 
  • passer d’une gestion finan­cia­risée à une démarche marketing pour augmenter la fréquen­tation, 
  • réinter­roger les politiques de commu­ni­cation au filtre des attentes clients, 
  • faire corres­pondre les coûts fixes à la réalité de l’activité commer­ciale des boutiques, 
  • décen­tra­liser l’organisation des foncières et des enseignes afin de rétablir la relation avec les acteurs locaux, notamment avec les respon­sables des centres commer­ciaux. 

La rénovation des centres commer­ciaux suppose une nouvelle organi­sation des espaces, sans compter d’éventuelles exten­sions immobi­lières. Dans cette perspective, les proprié­taires fonciers, les gestion­naires de centres, les grandes enseignes, certaines entre­prises et les élus locaux ont besoin d’expertises diverses pour réussir. 

Pour mener à bien le projet de recon­version d’un centre commercial il est néces­saire de disposer d’outils d’expertise immobi­lière en matière d’actifs de commerce pour bien cerner le contexte local. Les analyses écono­miques régio­nales, des données géolo­ca­lisées précises et certains indices spéci­fiques seront aussi très utiles pour identifier les bonnes solutions de la recon­version. 

Dans cette approche, la dimension du dévelop­pement durable et des questions sociales est également impor­tante à prendre en considération​​. S’engager concrè­tement dans une démarche ESG d’entreprise c’est aussi insérer dans son projet l’intégration environ­ne­mentale, la conti­nuité avec les mobilités douces, le sens de la citoyenneté, la prise de conscience de ce qu’est la consom­mation, la durabilité, la gestion des déchets, la lutte contre le green­wa­shing, l’inclusion sociale concernant notamment les minorités et les handicaps, la lutte contre les discri­mi­na­tions et le harcè­lement… 

Sources :

[1] Le Conseil National des Centres Commer­ciaux est devenu La Fédération des Acteurs du Commerce dans les Terri­toires
[²] Procos : Fédération pour l’urbanisme et le dévelop­pement du commerce spécialisé qui repré­sente plus de 300 enseignes