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Natalité histo­ri­quement faible en Suisse: décryptage des causes et consé­quences de ce phénomène démogra­phique

Dernière mise à jour: 12 September 2024

La Suisse, tout comme de nombreux autres pays à travers le monde, enregistre actuel­lement une impor­tante baisse du nombre de naissances. Plusieurs facteurs permettent d’expliquer ce phénomène: indivi­dua­li­sation, coûts écono­miques, crise du logement ou encore éco-anxiété et évolution des valeurs et modes de vie. La faible natalité pourrait avoir de nombreuses réper­cus­sions sur l’éco­nomie, mais aussi sur le marché immobilier. Dans cet article, nous analysons de près l’évo­lution des naissances en Suisse et cherchons à décrypter les causes et les consé­quences possibles du déclin observé.

Forte baisse de la natalité en 2023

L’OFS a récemment publié ses chiffres définitifs concernant les mouve­ments naturels de la population en 2023. Il en ressort que la natalité a encore diminué fortement l’année dernière, et atteint des niveaux histo­ri­quement faibles. Le nombre de naissances vivantes en Suisse a en effet reculé de plus de 10% entre 2021 et 2023, attei­gnant 80’024 naissances en 2023. Après déduction du nombre de décès survenus en Suisse en 2023, l’accrois­sement naturel de la population n’a été que de 8200 personnes l’année dernière, soit environ la moitié de la moyenne des dix années précé­dentes (17’700). L’indicateur conjonc­turel de fécondité (c’est à dire le nombre moyen d’enfants qu’une femme mettrait au monde au cours de sa vie sur la base de la fécondité observée dans chaque classe d’âge durant l’année consi­dérée) a atteint 1,33 en 2023, une valeur jamais enregistrée auparavant en Suisse.

La baisse des taux de fécondité n’est pas un phénomène spéci­fique à la Suisse. Cette tendance s’est manifestée récemment dans de nombreux pays à travers le monde. Les États-Unis, la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, par exemple, ont tous fait état d’un taux de natalité histo­ri­quement bas en 2023. Et le phénomène ne concerne pas uniquement les pays riches: la Chine et l’Inde, par exemple, font également face à un déclin des naissances.

Évolution des naissances: analyse détaillée

Une analyse plus fine des données sur les naissances révèle des ensei­gne­ments intéres­sants. Tout d’abord, le recul des naissances touche aussi bien les enfants de natio­nalité suisse que ceux de natio­nalité étrangère. En 2023, le nombre de naissances d’enfants suisses a diminué de 8% par rapport à la moyenne des dix dernières années, tandis que la baisse est légèrement moins prononcée pour les enfants étrangers (-5%).

Il apparaît aussi que les familles sont de plus en plus nombreuses à renoncer au troisième enfant. Alors que les naissances de premier et deuxième enfant ont baissé d’environ 7% par rapport à la moyenne des 10 années précé­dentes, le déclin est de plus de 11% pour les naissances de troisième enfant.

La question se pose alors de savoir si la baisse des naissances indique que les couples renoncent plus souvent à avoir des enfants ou s’il s’agit plutôt d’un report. À cet égard, il est intéressant d’exa­miner le nombre de naissances en fonction de l’âge de la mère. En termes relatifs, la plus forte baisse des naissances s’est manifestée chez les adoles­centes et les jeunes femmes de moins de 25 ans, avec un déclin de plus de 30%. Les femmes de plus de 45 ans ont en revanche donné naissance à davantage de bébés, mais la hausse n’est impor­tante qu’en termes relatifs, car le nombre total de naissances reste faible dans cette classe d’âge. En termes absolus, la catégorie des 25–29 ans a enregistré le plus fort recul de natalité, tandis qu’on observe un certain rattrapage chez les 35–44 ans. Cela pourrait indiquer que, dans certains cas, il s’agit d’un report du projet d’enfant plutôt que d’un abandon, ce qui se reflète également dans l’aug­men­tation de l’âge moyen de la maternité. Il n’est donc pas exclu qu’un léger rattrapage se produise dans les prochaines années.

Le ralen­tis­sement des naissances concerne la très grande majorité des cantons suisses. Seul le canton d’Uri fait exception, mais le nombre de naissances y étant très faible (entre 300 et 400 bébés par ans), cette hausse n’a que peu d’impact. Le recul est en revanche parti­cu­liè­rement marqué dans certains cantons ruraux ou à la population vieillis­sante comme Glaris et les deux Appenzell. Cependant, des cantons jeunes et urbains comme Genève et Zurich ont également enregistré une baisse des naissances supérieure à la moyenne nationale. Dans ces régions, les raisons pourraient être liées aux coûts écono­miques élevés d’élever un enfant et à l’aggra­vation de la pénurie de logements.

Quelles sont les raisons possibles de la baisse des naissances?

Les causes du déclin des naissances sont néces­sai­rement complexes et multi­fac­to­rielles.

  • Indivi­dua­li­sation et émanci­pation des schémas familiaux tradi­tionnels: la recherche de sens en dehors de la paren­talité, comme le mouvement « child-free » qui reven­dique le choix de ne pas avoir d’enfants, a récemment gagné en visibilité dans les médias.
  • Coûts écono­miques élevés : besoin d’un logement plus grand, garde d’enfant onéreuse, assurances… les frais augmentent néces­sai­rement à l’arrivée d’un nouvel enfant. L’office des mineurs de Zurich a même estimé le coût total d’un enfant à 370’000 francs (jusqu’à ses 20 ans).
  • Coûts d’opportunité: aux coûts directs d’élever d’un enfant s’ajoute aussi un coût indirect, lié à la perte de revenus. Souvent, un des parents doit faire des conces­sions profes­sion­nelles pour s’occuper d’un jeune enfant, que ce soit en réduisant son temps de travail ou en renonçant à un poste à respon­sa­bi­lités. Et ce sont majori­tai­rement encore les femmes qui procèdent à ces ajuste­ments à l’arrivée d’un enfant. En Suisse, 80% des mères d’enfants de moins de 15 ans travaillent à temps partiel, contre seulement 13% des pères. Cela affecte leurs perspec­tives de carrière (les pères sont 29% à occuper un poste avec fonction d’encadrement contre 15% des mères) et, à long terme, leurs pensions. Une conscience accrue de ce problème peut influencer négati­vement la décision d’avoir un enfant.
  • Crise du logement: la pénurie de logements locatifs et les loyers inabor­dables entravent également la formation de familles. De plus, la propriété du logement, gage de stabilité, est inacces­sible pour la majorité des couples en âge de procréer.
  • Incer­ti­tudes géopo­li­tiques et éco-anxiété: les inquié­tudes face à l’avenir et les consi­dé­ra­tions écolo­giques peuvent inciter les couples à renoncer à avoir des enfants supplé­men­taires.
  • Politique familiale: la Suisse ne dispose pas d’une politique nataliste parti­cu­liè­rement ambitieuse. D’autres pays, comme la France, encou­ragent davantage la natalité au moyen de subven­tions et de solutions de garde d’enfant. Cependant, malgré ces mesures, la France connaît également une baisse des naissances, bien que le taux de fécondité y reste bien supérieur à celui de la Suisse, avec 1,7 enfant par femme en 2023.
  • Divorces et sépara­tions: en Suisse, le taux élevé de sépara­tions et de divorces peut décou­rager certains de se lancer dans un projet de famille.

Quels effets pourrait avoir cette baisse des naissances?

Une baisse de la natalité a des réper­cus­sions impor­tantes sur la démographie et sur l’économie d’un pays. La pénurie de main d’œuvre et la diffi­culté de remplacer les travailleurs partant à la retraite est déjà une réalité en Suisse et ce phénomène pourrait encore s’accentuer. L’allongement de l’espérance de vie et la baisse des naissances fait craindre de profonds déséqui­libres dans les assurances sociales. La Suisse pourrait donc augmenter sa dépen­dance vis-à-vis de l’immigration pour renflouer ses ressources démogra­phiques. Mais alors que la natalité baisse et que le vieillis­sement se manifeste dans de nombreux pays, et notamment dans les pays voisins d’où proviennent de nombreux travailleurs étrangers, la capacité d’attirer les migrants pourrait également être plus limitée à l’avenir.

La baisse des naissances peut également affecter les marchés immobi­liers de diverses façons :

  • La taille moyenne des ménages pourrait continuer à diminuer, et la demande de logements de taille plus modeste pourrait ainsi augmenter. En parti­culier, les logements plus petits mais bien situés et acces­sibles pourraient devenir plus recherchés, tandis que les maisons spacieuses mais éloignées des centres pourraient perdre de leur attrait et se retrouver plus souvent vacantes.
  • Les besoins en infra­struc­tures, telles que les écoles, pourraient évoluer plus lentement que prévu, perturbant ainsi les plans de dévelop­pement des communes. Toutefois, l’allon­gement de la durée des études pourrait contre­ba­lancer cet effet, entraînant une demande accrue pour les instituts d’ensei­gnement supérieur.
  • La baisse de la natalité pourrait inciter les acteurs publics à mettre en œuvre des politiques plus favorables aux familles, comme le dévelop­pement de solutions de garde d’enfants, ce qui augmen­terait la demande en espaces pour accueillir des enfants en âge présco­laire. Un exemple dans ce sens est l’initiative populaire «Pour un accueil extra­fa­milial des enfants qui soit de qualité et abordable pour tous (initiative sur les crèches) » qui a été déposée en juillet 2023, et qui souhaite garantir aux enfants un accès égal à une solution de garde quali­tative et abordable (coûts pour les parents ne dépassant pas 10% du revenu familial) sur tout le terri­toire suisse.

Un rebond des naissances est-il probable en 2024?

Les premiers chiffres concernant les naissances en Suisse en 2024 ne laissent pas entrevoir de revirement de tendance. En effet, seuls 24’300 bébés sont nés entre janvier et avril 2024 en Suisse, un chiffre stable par rapport à 2023 (24’400). Il est donc probable que les naissances se conso­lident autour de ce niveau plus faible cette année encore.

Infor­ma­tions complé­men­taires
Wüest Partner dispose d’un modèle de prévision démogra­phique qui projette le nombre futur d’habi­tants pour chaque commune de Suisse, répartis par sexe, natio­nalité et tranche d’âge, jusqu’en 2050. Ce modèle peut notamment servir de base pour la plani­fi­cation des infra­struc­tures scolaires, l’esti­mation de la demande future en services de garde d’enfants et en accueil et soins aux personnes âgées, ainsi que pour les services de santé. En tenant compte de l’évo­lution récente du taux de natalité, le modèle permet de mieux estimer les besoins futurs en locaux scolaires, ce qui est crucial pour une plani­fi­cation efficace.

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